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Comment nourrir la planète demain ?

Publié le 30 janvier 2020 Mis à jour le 2 juin 2020

Franc succès pour la dernière conférence Savoirs partagés du cycle « Transitions »

Le 23 janvier dernier, exceptionnellement en soirée et au Quai des Savoirs, le cycle 2019 des Savoirs partagés de l’UT2J jouait les prolongations et se terminait, en beauté, par une conférence à la thématique très contemporaine : le devenir alimentaire de la planète.

Faisant écho à l’exposition « Code alimentation », organisée en partenariat avec le Quai des Savoirs, la rencontre a été menée par Nicolas Bricas, chercheur au Cirad et à l’UMR Moisa, titulaire de la Chaire Unesco Alimentations du Monde et Jean-Pierre Poulain, professeur en sociologie rattaché à l’ISTHIA/CERTOP, responsable de la Chair of "Food Studies" et co-directeur du LIA « Food, Cultures and Health ». Devant une salle comble, Tristan Fournier, sociologue, chargé de recherche CNRS à l’Iris, assurait la modération des débats.


Illustré de plusieurs exemples, Tristan Fournier a dressé un panorama introductif au sujet de la transition nutritionnelle et protéique, lançant ainsi une réflexion commune sur ses enjeux et ses échelles. Entre la crise alimentaire actuelle en Afrique et le lancement d’un burger végan chez Burger King, l’actualité interroge et se pose de plus en plus la question de savoir comment et avec quoi nourrir bientôt 8 milliards d’habitants.

Pour son premier temps de parole, Nicolas Bricas a tenu à présenter la situation actuelle aux moyens de données chiffrées. Des crises alimentaires surviennent, malgré une production agricole à l’évolution exponentielle. Elle reste insuffisante pour répondre aux besoins planétaires.
Pour un système alimentaire durable, selon le chercheur, il y a une nécessité de produire, transformer, commercialiser autrement, de changer la consommation et la gouvernance du système, de reboucler les cycles.

Très complémentaire, Jean-Pierre Poulain a ensuite pris la parole et est revenu sur le terme de « transitions », à mettre au pluriel puisqu’à la fois démographique, épidémiologique, nutritionnelle, économique… Elles sont le fait de différents facteurs : le développement de l'emploi, la réorganisation des sociétés, l'urbanisation, l’évolution des taux de natalité/mortalité…
Appuyé sur les études de auteurs Drewnowski et Popkin (1997) sur l’évolution de la consommation de protéines animales en lien avec développement économique du pays, Jean-Pierre Poulain a explicité le concept de transition protéique, soit le passage du végétal vers l'animal et inversement.
Malgré l’intervention de lanceurs d’alerte par le passé (René Dumont et son verre d’eau en 1974, Anton Zischka et son ouvrage "Du pain pour deux milliards d'hommes" publié en 1944…), les émeutes de la faim secouent l’actualité et notre quotidien. Un tournant environnemental se présente : nourrir l'humanité tout en préservant la santé des populations et de la planète.

Jean-Pierre Poulain propose de changer la lecture qui est faite de la théorie de Malthus, en prenant en compte les besoins selon le nombre de bouches à nourrir et surtout selon leurs modèles alimentaires. La comparaison doit se faire entre nations et au sein même des pays, entre les différentes classes sociales et ethnies. La diversité des cultures alimentaires est alors une ressource !

Nicolas Bricas reprend le fil de la discussion en questionnant le raisonnement macroéconomique des données. Avec lui, tous les pays ont l'air d'aller vers le même modèle alimentaire, on tendrait donc à une uniformisation de l’alimentation. Pourtant, en prenant une échelle plus fine, on constate que les situations ne sont pas identiques à l’intérieur d’un même pays : en Inde par exemple, les classes qui s’enrichissent ne consomment pas plus de viande.
Comme le montrent ses derniers travaux, tout ne converge pas vers le même modèle, il convient de nuancer le phénomène de transition en fonction de l’échelle d’analyse choisie. Chaque société a sa culture alimentaire, les cuisines ne s’uniformisent pas par-delà le monde.
Pour finir, Nicolas Bricas évoque une rupture anthropologique à l’œuvre, le rapport de l’homme à la nature se modifie pour tendre davantage vers le transhumanisme.


La dernière partie de la conférence a été consacrée aux questions de la salle. L’occasion de revenir sur la notion de consommation engagée. Chaque individu peut envoyer via ses choix de consommation des signaux aux entreprises et donc orienter l’offre, mais ces choix sont difficiles et impliqueraient la prise en compte de nombreuses préoccupations (familiales, sanitaires, éthiques, environnementales…). Nicolas Bricas indique alors qu’au-delà des responsabilités individuelles, c’est aux politiques d’intervenir sur ce sujet.
Les questions ont ensuite amené les participants directement en cuisine, où la transition alimentaire implique aussi des questions du genre avec le travail des femmes et reconfiguration des rôles. Par exemple au Brésil, où certaines maisons sont agencées avec deux cuisines : une servant la semaine équipée d’un simple micro-ondes pour réchauffer les repas livrés. Une autre pour le week-end, où les hommes cuisinent en prenant le temps. En Indonésie, au contraire, de plus en plus de logements se vendent sans cuisine, car le nombre de repas pris hors domicile est en très forte augmentation. Le soin apporté à la cuisine varie selon les cultures.
"Le tout local est-il piège ?", la dernière question de la salle est revenue sur un article très récemment publié par Nicolas Bricas. Pour lui, l’alimentation est à prendre dans sa complexité (culturel, sanitaire, environnementale, historique…) et le tout local ne peut suffire, surtout qu’il ne garantit pas toujours d’être la meilleure solution du point de vue environnemental. Le transport représente 14% des émissions de CO2 du processus de production alimentaire, mais consommer de la viande de l’Aubrac plutôt que celle importée de Nouvelle-Zélande ne signifie pas polluer moins puisque le transport en bateau cargo est moins polluant que le transport routier.


Tout au long de la conférence, la transition protéique a généré de multiples questionnements forts intéressants, qui ne doivent pas être déconnectés de la notion de plaisir et de lien social, entre ceux qui produisent et ceux qui cuisinent, entre ceux qui partagent un même repas.