#20. Franck Gaudichaud, chercheur sans frontière

Publié le 5 septembre 2022 Mis à jour le 6 septembre 2022

Franck Gaudichaud est spécialiste des mouvements sociaux au Chili et en Amérique latine contemporaine. Il enseigne l’histoire et la sociologie politique hispano-américaine en langue espagnole. L’enseignant-chercheur, très engagé dans le milieu associatif, a aussi amorcé une profonde réflexion sur sa pratique.

Franck Gaudichaud
Bien qu’héritier de parents enseignants, Franck Gaudichaud ne se destinait pas, à priori, à l’enseignement et à la recherche. Il s’est toujours laissé porter par ce qui le passionne. Mais avant d’être captivé par l’Amérique latine, Franck Gaudichaud s’est d’abord passionné pour l’Histoire. Enfant à La Rochelle, il dévore les revues relatant les grands événements du monde ; il se plonge dans les encyclopédies Tout l’Univers. Les révolutions, les soulèvements populaires, les mouvements sociaux, le syndicalisme fascinent le jeune lecteur. C’est donc assez logiquement qu’il entame des études d’Histoire à Bordeaux, après avoir décroché la mention Très bien au Bac. Presque immédiatement il s’investit dans les mouvements étudiants et bat le pavé les jours de mobilisation. Côté études, il hésite à se spécialiser sur la Grèce Antique, touché par la passion contagieuse de l’un de ses professeurs. Ce sera finalement une Maîtrise sur la « Grande Révolution Culturelle » chinoise vue par la presse en France.  

Puis vient le temps des premiers voyages au long cours. Franck Gaudichaud décide de faire une pause dans ses études et d’aller parcourir ce monde qu’il a jusqu’ici exploré dans les livres. Il rejoint son frère en Bolivie, lequel a monté une structure agricole qui accueille les enfants des rues à Santa Cruz. Il n’a jamais étudié l’histoire du pays, ni même du continent, mais il est immédiatement captivé. La culture, la langue aussi. Et surtout les enfants des rues. Ils incarnent une réalité qui le touche, celle des classes populaires des « pays sud Sud », du mal-développement. Cette rencontre marque un tournant décisif : à son retour en France, Franck Gaudichaud sait qu’il veut faire de la recherche. Après un DEA à Bordeaux, puis une première année de thèse à l’Institut des Hautes Études d’Amérique Latine, il entame finalement un doctorat en Sciences Politiques à l’Université Paris 8.

Son sujet de thèse est décidé en un après-midi, à la lecture du petit livre « Le Chili sous Allende » du sociologue Alain Joxe (qui sera plus tard membre de son jury doctoral). Le jeune doctorant veut étudier le mythe militant du pouvoir populaire sous la présidence du chef d’État chilien, les fameux cordons industriels. Et comprendre comment vivaient les quartiers, les travailleurs dans les usines avant la dictature militaire. Le coup d’État d’Augusto Pinochet a détruit la plupart des sources. Cette histoire par en bas est donc dans les mémoires et a, de fait, peu été étudiée. Une histoire orale que Franck Gaudichaud va aller recueillir sur le terrain, y ajoutant un long travail d’archives et de la presse de l’époque. Pendant plus de deux ans, sans financement doctoral, il séjournera sur place. A Santiago du Chili il fréquente l’Université Arcis, ancien bastion de la gauche chilienne, et rencontre de nombreux témoins. A partir de cette enquête ethnographique, il publiera pendant son doctorat un ouvrage d’histoire orale sur le Chili de Salvador Allende. Sa thèse, dirigée par le sociologue franco-brésilien Michael Löwy, reçoit quant à elle la Mention très honorable avec Félicitations du jury à l’unanimité. L’histoire orale, Franck Gaudichaud la travaillera à nouveau en préparant son HDR sur les formes de revitalisation syndicale dans les ports chiliens aujourd’hui (années 2000). Mais recueillir des témoignages a comme préalable indispensable l’établissement d’un lien de confiance qui, souvent perdure bien au-delà du terrain. Grace notamment à une délégation CNRS, le chercheur séjourne de nouveau au Chili deux années durant, partage le quotidien des dockers, les repas, les fêtes ou les réunions et assemblées syndicales. Et alors deviennent possibles des conversations en profondeur.

De ces entretiens, que le chercheur filme, sont nés plusieurs DVD et des récits de vie, remis à chaque syndicat de dockers lors d’une petite cérémonie. Car un volet important de la recherche de Franck Gaudichaud est la restitution de ce qui lui a été livré. Le partage, l’échange doit aller dans les deux sens. La recherche doit veiller à ne pas se transformer en « extractivisme » intellectuel, culturel, voir néocolonial. Il s’agit aussi d’inscrire dans l’Histoire celles et ceux oubliés de l’histoire officielle. Au Chili, avec le soutien du Service National du Patrimoine, il a participé à la création d’un espace numérique où chacun peut avoir accès à une partie de ces enquêtes. La recherche ne doit pas, selon Franck Gaudichaud, être enfermée dans l’Académie. La sienne, en tout cas, a vocation à déborder très largement l’université. Sans doute marqué par les expériences humanitaires de son premier voyage, il est resté très engagé. Président national de l’association France-Amérique Latine, Franck Gaudichaud est investi dans la solidarité internationale et dans le comité toulousain de l’association. Il participe aussi à de nombreuses conférences, des tables-rondes, des festivals. 2023 marquera les 50 ans du coup d’Etat au Chili : Franck Gaudichaud prévoit l’édition d’une anthologie des textes sur le gouvernement de Salvador Allende. D’ici là, il espère également publier son HDR sur le syndicalisme portuaire chilien. Transmettre et partager, bien au-delà des frontières.

 

Franck Gaudichaud : Professeur des universités en histoire et études des Amériques latines contemporaines au Département Études Hispaniques et Hispano-américaines de l’UT2J. Chercheur au sein du laboratoire FRAMESPA (France, Amériques, Espagne – Sociétés, pouvoirs, acteurs)