#7 . Thierry Darnaud, chercheur atypique

Publié le 29 juin 2021 Mis à jour le 5 septembre 2022

Thierry Darnaud travaille sur la psychologie du grand âge. Formé à contre-courant du dogme gériatrique, l’enseignant-chercheur défend une approche systémique de la vieillesse et veut changer le regard de la société sur les personnes âgées.

TD
N’allez pas parler de démence ou de sénilité à Thierry Darnaud en évoquant une personne âgée qui n’aurait plus « toute sa tête ». Le regard bleu du chercheur, qui a longtemps travaillé en maison de retraite, risquerait instantanément de s’assombrir. Car Thierry Darnaud en est convaincu : on peut bien vieillir malgré la diminution de certaines facultés cognitives, laquelle est inhérente au processus de vieillissement. Et on ne peut pas envisager de travailler auprès d’un sujet âgé sans travailler avec sa famille. Le grand âge a ses particularités qu’il faut intégrer et non pas gérer comme une maladie. Cette approche, loin d’être dominante à l’époque où il entame sa vie professionnelle de soignant (au milieu des années 80), est pourtant celle qu’il va suivre, mettre en pratique, et approfondir tout au long de son parcours.
Et celle qui va l’amener, à quarante ans passés, au métier de chercheur et d’enseignant.

Un parcours atypique, reconnaît Thierry Darnaud, dont le sillon a sans doute commencé à se tracer dans la maison familiale de la campagne gardoise où il a grandi. Une famille souche, raconte-t-il, où trois générations vivaient sous le même toit. Une famille où est née l’envie, adolescent, d’exercer un métier qui rende service à son semblable, utile à l’espèce humaine. Médecine ? Non. Il choisit une école de psychomotricité à Marseille. Là, il fera deux rencontres majeures : le professeur René Soulayrol, directeur de l’école, grande figure de la psychanalyse, et le pédopsychiatre Marcel Rufo qui marquera beaucoup l’étudiant par son approche empathique de l’autre et son intérêt porté aux familles des jeunes patients. Trois ans plus tard, en poste dans un centre sportif départemental spécialisé, Thierry Darnaud reste stupéfait lorsqu’un enfant mutique se met soudainement à parler dans la grotte, au cours d’un atelier de spéléologie. Et redevient mutique une fois en surface. L’importance accordée au contexte d’un sujet devient pour lui fondamentale. Ce n’est pourtant pas en pédiatrie qu’il mettra à profit cette découverte. Car l’aventure dans le centre s’arrête sur décision politique du département. Thierry Darnaud intègre alors une maison de retraite de statut hospitalier pour aider à la réadaptation fonctionnelle des pensionnaires. Il ne prévoit pas d’y faire carrière.  Mais travailler auprès des personnes âgées se révèle être une évidence. Il y restera dix ans, au cours desquels, résolument convaincu par la question de l’intégration des familles, il se forme auprès des spécialistes de la thérapie familiale systémique. Le psychologue Jacques Pluymaekers et le psychothérapeute Mony Elkaïm, pionniers dans ce domaine et aujourd’hui mondialement reconnus, seront ses professeurs.

Avec eux, Thierry Darnaud envisage un autre modèle de vie en maison de retraite. Ces univers singuliers ne doivent pas être, selon lui, des lieux d’exclusion sociale parce que la personne présente des troubles cognitifs ou moteurs. Bien au contraire, il faut, explique le chercheur, y cultiver la vie. Bannir la prise de médicaments en dehors de tout impératif vital, notamment de psychotropes ; bannir les régimes alimentaires et manger ce qui est bon ; bannir les horaires imposés de lever et de coucher et respecter le rythme de chacun ; bannir la sédentarité et proposer des balades en forêt, de la pêche, ou encore un tour dans le train des Cévennes. Mais, souligne Thierry Darnaud, ce modèle ne peut fonctionner qu’avec la pleine acceptation de la famille, et sa participation aux activités, aux sorties, aux repas, à la vie de l’établissement. Et les résultats parmi les pensionnaires sont stupéfiants : disparition des troubles (cris, violence), des symptômes dépressifs et du recours aux médicaments. Ce n’est pas magique, sourit Thierry Darnaud, c’est simplement ne pas enfermer et ne pas aller contre ce qui est. Laisser, par exemple, une personne âgée qui ne dort pas, déambuler la nuit. Mais la protéger en aménageant l’espace. Lorsqu’il est contacté par l’hôpital d’Alès pour refonder la filière gériatrique, Thierry Darnaud proposera cette même prise en charge. Il accepte ce nouveau défi à condition de pouvoir reprendre ses études. Et à quarante ans, il entreprend une thèse à l’Université Lyon 2, sous la direction du professeur Jacques Gaucher, sur l’impact familial de la maladie d’Alzheimer.

Aujourd’hui, l’enseignant-chercheur a cessé toute activité clinique, mais continue d’accompagner des établissements innovants et de conseiller les équipes de professionnels exerçant dans le champ médico-psycho-social. Il transmet aux étudiants l’idée que le grand âge n’est pas une altération, mais une étape différente de la vie. Vieillir induit des dégénérescences cérébrales, pourtant, dit-il, il n’y a pas de corollaire entre le niveau de dégradation d’un cerveau et la présentation déficitaire d’un sujet. Parmi ses projets de recherche en cours, l’un porte sur la mémoire implicite affective et invaliderait la théorie selon laquelle les personnes ayant des troubles cognitifs à un stade avancé n’ont plus de capacités d’apprentissage. L’autre porte sur le rôle du couple chez les personnes âgées dans un contexte de pathologie neuro-évolutive. Tous ses travaux tendent inlassablement à changer le regard de la société sur les déficiences des personnes âgées et faire avancer la recherche systémique. Face au défi d’une population qui vieillira bientôt jusqu’à 100 ans, l’enjeu est loin d’être démentiel...

 

Thierry Darnaud : Maître de conférence en psychologie à l’UT2J. Habilité à diriger des recherches. Co-responsable du Master 2 professionnel de psychologie gérontologie clinique. Responsable pédagogique du DU Thérapies Familiales (DUTF). Chercheur au sein du laboratoire LCPI (Laboratoire Cliniques Psychopathologique et Interculturelle). Psychologue clinicien et thérapeute familial.