#9 . Paul-Antoine Miquel, chercheur d’élan vital

Publié le 13 septembre 2021 Mis à jour le 5 septembre 2022

Paul-Antoine Miquel enseigne la philosophie contemporaine française. Sa recherche croise la thermodynamique, la physique et la biologie avec la philosophie, dans une quête fondamentale des origines de la vie…

PAM
Il est peu de dire que la philosophie est, pour Paul-Antoine Miquel, une vocation. Elle fut même à une certaine époque, pour lui, existentielle. Existentielle comme la grande question à laquelle il travaille depuis toujours. S’il déclare avoir essayé toute sa vie de faire « un peu » de philosophie, c’est qu’il n’a pas encore trouvé ce qu’il cherche : la clé pour comprendre le passage d’un système non-vivant à un système vivant, de l’inerte au vif. En d’autres termes, les origines de la vie. Que vient faire la philosophie là-dedans ? Tout. Car la philosophie questionne, pétrit, construit la pensée. Précisément là où les scientifiques n’ont pas encore de réponse, où la pensée butte sur les limites d’un concept ou d’une méthode, Paul-Antoine Miquel étudie ce qu’il faut changer dans le cadre de pensée pour arriver à comprendre le mécanisme de l’élan vital. Il travaille sur ce que la philosophie appelle un schème conceptuel propulsif.

Dès le départ, celui qui n’est pas encore enseignant, et se verrait plutôt astronome ou comédien au théâtre, place la barre très haut. Inscrit en section scientifique, il s’ennuie au lycée. Élève à l’esprit brillant et rebelle, il trouve ses professeurs de sciences épouvantablement mauvais, comme plus tard il s’ennuiera en classe préparatoire et finira par déserter les cours à l’université, où, confie-t-il, il n’a rien appris. Mais il y a la philosophie. La première rencontre se fait durant l’été précédant la terminale. Son père (l’historien Pierre Miquel) lui conseille trois lectures à emmener lors d’un voyage en Allemagne : le Discours de la méthode de René Descartes, le Manifeste du Parti Communiste de Karl Marx et Friedrich Engels, et surtout, Le Banquet de Platon. L’anticonformisme du philosophe grec enthousiasme l’adolescent. Quelques mois plus tard, au lycée, il découvre Spinoza. S’il ne comprend pas grand-chose à la pensée du philosophe néerlandais, il reste fasciné par l’énergie qui circule dans ses textes. Puis arrive ce jour de novembre, dont il se souviendra, dit-il, toute sa vie. C’est jour de dissertation. « Qu’est-ce qu’un monstre ? » demande la professeure de philosophie. Paul-Antoine Miquel écrit sa copie en s’amusant raconte-t-il. La structure, les mots lui viennent spontanément. Il se réfère à La tentation de Saint-Antoine du peintre Jérôme Bosch, à la fable du Vilain petit canard, et aux textes de celui qu’il désigne comme son maître en philosophie, Georges Canguilhem. Paul-Antoine Miquel obtient la meilleure note, vingt. Il vient surtout, sans le savoir, de découvrir la théorie qui deviendra la base de tout son travail, celle de la normativité biologique.

C’est à partir de cette même théorie qu’il soumettra, quelques années plus tard au philosophe Michel Serres une lecture inédite de L’Évolution créatrice d’Henri Bergson et s’engagera vers la recherche. Il a 30 ans, est devenu enseignant dans un lycée à Reims après avoir échoué au concours de l’École Normale Supérieure de Paris. Agrégé de philosophie, les sciences lui manquent. C’est comme cela qu’il conçoit la philosophie, toujours en transversalité, avec d’autres disciplines. La philosophie n’est pas autonome, explique-t-il, et dans toutes les disciplines il y a des problèmes philosophiques. Paul-Antoine Miquel revendique d’ailleurs avoir davantage appris en dehors des sentiers académiques, grâce aux rencontres avec d’autres étudiants, puis auprès de collègues enseignant dans d’autres matières, et enfin des chercheurs. Séduit par son approche naturaliste de Bergson, Michel Serres l’encourage à faire une thèse à condition de se replonger dans la physique, la biologie et la thermodynamique. Il soutient sa thèse sous la direction de la philosophe, psychiatre et alors future académicienne Anne Fagot-Largeault.

C’est à Nice, où il sera finalement recruté comme maître de conférences, qu’il commencera réellement sa recherche en philosophie de la biologie, au contact du physicien Jean-Marc Levy-Leblond, de la biologiste Frédérique Vidal ou encore du spécialiste du chaos Pierre Coullet. Pour comprendre le passage d’un système non vivant à un système vivant, le chercheur a d’abord défini ce système pour aboutir à l’idée d’un schème récursif, un système capable de se recomposer à partir de lui-même. Ses travaux sont publiés dans de grandes revues scientifiques, il est invité à des conférences et créé, avec le physicien et chercheur au CNRS Eric Picholle, une Licence Philosophie-Physique. C’est à ce moment-là qu’il obtient son HDR (habilitation à diriger des recherches) et choisit l’UT2J parce qu’on y enseigne la philosophie française. Aujourd’hui, Paul-Antoine Miquel poursuit sa quête sur les origines du vivant. Le travail de toute une vie. Ce n’est pas confortable la philosophie, confie-t-il, c’est douloureux, c’est dur. A chaque instant, tout peut s’effondrer. Alors quand on réussit à façonner un schème conceptuel, on a déjà, conclut-il, réussi à faire un peu de philosophie...

 

Paul-Antoine Miquel : Professeur de philosophie contemporaine à l’UT2J, chercheur en philosophie française contemporaine, philosophie de la biologie et écologie politique, au Laboratoire Erraphis (UT2J).