#19. Nathalie Lapeyre, chercheuse en résistances

Publié le 4 juillet 2022 Mis à jour le 5 septembre 2022

Nathalie Lapeyre est sociologue. L’enseignante-chercheuse s’intéresse aux inégalités femmes-hommes dans les sphères professionnelles très qualifiées. Elle observe et analyse les processus de reproduction de ces inégalités. Et œuvre à la reconnaissance de la recherche féministe et des études de genre.

Il y a des héritages qui nous portent. Nathalie Lapeyre, aujourd’hui directrice de la structure collaborative de recherche ARPEGE[1], revendique avec fierté celui transmis par les chercheuses pionnières sur les études de genre à l’UT2J. Celles dont les travaux et la détermination ont posé les fondements d’une institutionnalisation des études féministes dans les universités françaises. Le premier colloque national « Femmes, féminisme et recherche », organisé à Toulouse Le Mirail en 1982 en est l’acte fondateur. Cette équipe pionnière (Simone Sagesse[2]) est celle que découvre Nathalie Lapeyre lorsqu’elle arrive à Toulouse. Elle est étudiante en sociologie et n’envisage pas encore d’être chercheuse. Elle s’intéresse surtout aux inégalités de genre. Depuis toujours. Cela provient du premier de ses héritages : le sens de l’observation.

Dès le lycée, à Marseille Nathalie Lapeyre est interpellée par la présence minoritaire des femmes dans ce qu’on lui enseigne. Une différence de traitement qu’elle observe aussi dans son quotidien. La lycéenne est entourée de femmes qui travaillent mais constate pourtant un déséquilibre sociétal et domestique avec les hommes. C’est pour comprendre ces inégalités, qu’elle s’inscrit en sociologie à Aix-en-Provence. Des études fascinantes, se souvient-elle, qu’elle embrasse avec une déconcertante facilité. En cours, la question du genre est très peu évoquée. Jusqu’à la rencontre avec des professeurs tels que la chercheuse Catherine Flament, ou encore le sociologue spécialiste de l’éducation Roger Establet (co-auteur du retentissant « Allez les filles ! Une révolution silencieuse »). Si la question du genre devient un sujet d’étude évident pour Nathalie Lapeyre, celle du genre au travail, ne viendra que plus tard. Lorsqu’elle découvre, après sa maîtrise, l’existence à Toulouse d’un DESS unique en France, baptisé « Politiques sociales et rapports sociaux de sexe ». Une évidence.

C’est là qu’elle rencontre celle qui lui mettra le pied à l’étrier de la recherche : Nicky Le Feuvre mène des études comparatives sur la féminisation des professions supérieures et dirige l’équipe Simone Sagesse. L’alchimie opère immédiatement. Après le DESS, Nathalie Lapeyre entame un DEA, suivi d’une thèse sous la direction de Nicky Le Feuvre et Gilbert de Terssac. Un contexte idéal se souvient-elle, évoquant le sens du collectif au sein de l’équipe Simone Sagesse, la production bouillonnante de travaux pluridisciplinaires, la motivation très forte à défendre le droit des femmes. Et la conscience de contribuer à l’émergence d’un nouveau champ de recherche.

Nathalie Lapeyre oriente ses travaux sur les femmes très qualifiées dans les professions libérales. Des médecins, des avocates, des architectes dont elle trace le parcours d’études puis professionnel, en observant l’articulation travail-famille. Cette temporalité reste, aujourd’hui encore, très différenciée. 80% du travail domestique est réalisé par les femmes selon la dernière enquête Emploi du temps de l’INSEE, rappelle la chercheuse. Les processus en jeu ne sont pas seulement culturels, dit-elle, il existe aussi des mécanismes structurels complexes au sein des entreprises et des organisations de travail. Les recherches de Nathalie Lapeyre pointent la nécessité d’inclure cette problématique travail-famille dans l’organisation du temps de travail pour les deux sexes. Elles dressent également le constat d’une évolution lente, où chaque avancée provoque son lot de résistances individuelles, sociétales et politiques. Donner les clés d’analyse des freins que vivent les femmes au travail est ce qui guide les recherches de Nathalie Lapeyre. Pour son HDR, elle a l’opportunité d’enquêter au sein d’Airbus sur la féminisation des cadres, alors même qu’était mise en œuvre une politique d’égalité professionnelle. Sollicitée par les salariées, elle suit pendant plusieurs années leurs parcours, et observe ce qui fonctionne et ne fonctionne pas. Depuis deux ans, elle travaille également sur la féminisation de l’enseignement en architecture, et plus particulièrement sur les carrières des enseignantes-chercheuses.

Porter les questions d’inégalités de genre au travail sur le champ de la recherche, c’est aussi leur donner une légitimité au sein même des milieux professionnels. Mais pas seulement. La diffusion des savoirs et des résultats œuvre à la reconnaissance des recherches féministes et à leur inscription dans l’institution. Cette année sortira un ouvrage collectif sur le genre des sciences[3]. Et en juillet 2023, sous l’impulsion des membre du bureau de la structure collaborative de recherches ARPEGE, l’UT2J accueillera le Congrès de l’Institut du genre au CNRS. 40 ans après le colloque fondateur de 1982…

 

Nathalie Lapeyre : Professeure des universités en sociologie. Co-responsable du Master professionnel GEPS : Genre, Egalité & Politiques Sociales. Chercheuse au sein du CERTOP-CNRS sur les questions de genre au travail. Directrice de la structure collaborative de recherche ARPEGE. Co-directrice du réseau de recherches interdisciplinaire et international MAGE (Marché du Travail et Genre).

 

[1] ARPEGE (Approches Pluridisciplinaires du Genre) : réseau interdisciplinaire de recherche visant à promouvoir les recherches sur le genre.

[2] L’équipe SIMONE, créée en 1986, deviendra Savoirs, Genre et Rapports Sociaux de Sexe (SAGESSE) en 1998, puis intègrera en 2007 le Centre d’étude et de recherche travail, organisation, pouvoir (CERTOP).

[3] Thérèse Courau, Julie Jarty, Nathalie Lapeyre ; Le genre des sciences, approches épistémologiques et enjeux contemporains ; Edition Le bord de l’Eau, 2022.