#15. Olivier Bories, chercheur du recoin

Publié le 8 mars 2022 Mis à jour le 5 septembre 2022

Olivier Bories est géographe en aménagement de l’espace, arpenteur de paysages. Il observe et étudie la façon dont les gens fabriquent leurs territoires. Et part à leur rencontre lorsque les paysages se transforment. Caméra au poing. Olivier Bories est aussi réalisateur.

Lorsqu’il n’enseigne pas à l’ENSFEA ou en Master à l’UT2J, Olivier Bories travaille au fond de son jardin, dans une cabane aménagée en bureau. Un coin qui lui ressemble davantage que les longs couloirs de son laboratoire (LISST), confie le chercheur. À l’image aussi du chemin qui l’a mené à la recherche : peu conventionnel. Olivier Bories a longtemps cherché sa place, se débattant très tôt dans des cadres qu’il ne comprenait pas. Il a même bien failli, malgré son doctorat, renoncer définitivement à la recherche.

Enfant, Olivier Bories est un élève factieux à l’école. Il s’apaise uniquement au milieu des bois près de son village Tarnais, passant des heures à observer les arbres, le mouvement de la Nature. Les mauvaises notes et l’indiscipline lui valent d’être envoyé en pension dans un lycée agricole à Bazas près de Bordeaux. Il sortira premier du BTA (brevet de technicien agricole) avec l’ambition de ne pas s’enfermer dans un métier physiquement difficile et enchaîne sur un BTS en aménagement paysager à Pau. Là, il observe, intrigué, les changements de paysages, les coupes brutales de parcelles dans les Landes. En cours, les problèmes de discipline perdurent. Jusqu’à la rencontre d’un enseignant d’éducation socio-culturelle. Passionné d’art, de paysages et de lectures, Daniel Pénicaud est celui qui va donner à l’étudiant le goût d’apprendre, la confiance en l’enseignement. Il est celui qui le soutiendra lorsqu’Olivier Bories aura l’opportunité, en pleine année scolaire, d’aller travailler auprès de concepteurs paysagistes à Kourou en Guyane, interrompant ses études une fois par mois. Il est celui, enfin, qui l’encouragera à poursuivre en Licence puis en Maîtrise, à l’IUP Aménagement et développement territorial de l’UT2J. Il le confie à Anne-Marie Granié, professeur de sociologie à l’ENSFEA, chercheure et directrice du laboratoire Dynamiques Rurales (LISST). Elle co-dirigera son mémoire de maîtrise consacré à l’impact du paysage de la campagne sur le cadre de vie des urbains.

C’est à ce moment-là qu’Olivier Bories pose les bases de sa méthodologie : pour étudier les représentations des habitants sur leur territoire, il les aborde par la photographie. Le support de l’image déclenche l’entretien et confronte le regard du chercheur à celui du terrain. Il est un plongeon dans le paysage et celui des autres. C’est aussi un langage dans lequel Olivier Bories se sent à l’aise, davantage qu’à l’écrit. Porté par Anne-Marie Granié, elle-même spécialiste de l’approche filmique, Olivier Bories approfondit sa thématique et sa méthode en DEA. Il choisit d’étudier l’étalement urbain autour de la commune de Rebigue sur les coteaux du Lauragais. Là encore, l’image lui permet de se placer du point de vue du paysage pour récolter les témoignages et étudier la façon dont ce paysage est habité, son attractivité, mais aussi comment il peut être déstructuré en fonction des stratégies locales. Ce qu’Olivier Bories appellera dans sa thèse « la parole paysagère ». Portée à la connaissance des aménageurs, elle permettra espère le chercheur, une autre compréhension, une appréhension éclairée des projets de territoire.

Lorsqu’il soutient sa thèse, Olivier Bories comprend que la recherche lui plaît. Mais il ne se reconnait pas dans le milieu des chercheurs, et préfère quitter ce cadre plutôt que de s’y débattre. Il part enseigner, là où lui-même avait eu tant de mal à apprendre, dans un CFPPA*. Avec l’envie de transmettre en pensant souvent à la façon délicate d’enseigner de Daniel Pénicaud. Il travaillera quatre ans à Romans sur Isère, avant que la vocation et l’amour pour son territoire tarnais se rappellent à lui. Un poste de maître de conférences est à pourvoir à l’ENSFEA, une occasion comme celle-là ne se représentera sans doute pas. Il concourt et sort seul classé.

Depuis plusieurs années, Olivier Bories travaille avec l’audiovisuel et l’écriture filmique. Il s’est formé pour cela à l’ENSAV, obtenant un master réalisation. Il produit des films-recherche où le paysage est le premier personnage. Mais pas seulement. Les images et les sons, quand ils sont un art maîtrisé et argumentable, deviennent eux-mêmes un fond scientifique, explique-t-il. Une pratique encore confidentielle en géographie, utilisée par une dizaine de chercheurs en France et qu’Olivier Bories transmet à ses étudiants. Avant de filmer, il leur apprend à entrer en observation, à comprendre ce que regarder veut dire, à faire l’expérience engagée et sensible du lieu, à créer le contact, la confiance avec celles et ceux qui habitent là. Avec sa caméra, Olivier Bories va chercher ce qu’il y a au-delà des discours, sous la coquille, là où pointe l’émotion. Ce relief est fondamental dans ses travaux. Aux grands projets de recherche, il préfère les territoires discrets, ceux dans lesquels personne ne s’attarde. Il est un géographe du recoin, à l’abri. « Il n’y a de vie que dans les marges » écrivait Honoré de Balzac…

 

Olivier Bories : Maître de Conférence en géographie aménagement de l’espace à l’École nationale supérieure de formation de l’enseignement agricole (ENSFEA). Chercheur au sein du LISST-Dynamiques Rurales, sur les transformations paysagères, pour comprendre et analyser le projet de territoire, en utilisant les méthodes visuelles et sonores.

*centre de formation professionnelle et de promotion agricole