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Un géographe d’UT2J dévoile l’obscurité

Publié le 27 avril 2020 Mis à jour le 5 mai 2020

Il est l’un des rares à étudier la lumière artificielle sous l’angle environnemental. Le géographe de l’environnement, chercheur invité au laboratoire GEODE, Samuel Challéat analyse l’impact des éclairages sur cet élément que l’on croit inaltérable : la nuit. Et ses conséquences sur le vivant. Rencontre.

On peut ne pas y prêter attention tant leur présence est intégrée à notre quotidien : pourtant, les onze millions de lampadaires qui s’allument chaque soir en France, ainsi que les trois millions et demi d’enseignes lumineuses, influent sur le cycle naturel du jour et de la nuit. Le scénario est le même à l’échelle planétaire. Dans son livre « Sauvons la nuit », Samuel Challéat parle d’une érosion de l’obscurité.

La nuit, essentielle pour le vivant

Le halo saumoné qui nappe la surface des zones urbaines ne masque pas seulement la voûte étoilée, il agit également sur le vivant. « Notre œil par exemple, ne passe jamais en vision nocturne. Les cellules que l’on utilise sont toujours celles de la vision diurne. Ce qui fait que notre horloge biologique interne n’arrive plus à se synchroniser, car elle a besoin d’une obscurité totale pour cela » explique le géographe. Un simple filet de lumière à travers un volet mal fermé perturbe notre métabolisme. Le phénomène est déjà bien connu de la chronobiologie, qui a pointé ses conséquences sur le sommeil, la régénération cellulaire, osseuse, les risques cardiaques, d’obésité…

L’omniprésence des lumières artificielles sur la planète influe par ailleurs sur le comportement de la faune. Ainsi, les oiseaux migrateurs, dont l’orientation est perturbée par les taches lumineuses. Les tortues marines au sortir de l’œuf, ne se dirigent pas vers la mer (celle-ci est légèrement plus claire que la terre ferme) mais vers le halo lumineux formé par la ville… Les insectes pollinisateurs, troublés par les lumières, ne jouent plus correctement leur rôle sur la flore… Les exemples de déséquilibres engendrés par le manque d’obscurité sont multiples.

La pollution lumineuse  

À ces modifications sur le vivant s’ajoute un énorme gaspillage énergétique. Ce qui amène en 2011 à l’inscription de la notion de « nuisance lumineuse » dans le code de l’environnement. Le décret Batho qui en découle interdit d’allumer enseignes et vitrines au-delà d’une heure après la fermeture. Mais, souligne Samuel Challéat, « les associations comme France Nature Environnement Midi-Pyrénées ont constaté que cela n’était que très peu respecté. » En ce qui concerne l’éclairage public, depuis une dizaine d’années, des communes éteignent une partie des lumières entre 23 heures et 6 heures du matin. « C’est intéressant d’un point de vue économique, qui en est la première motivation, mais les écologues ont montré que cela n’est pas une solution pour la faune : beaucoup d’espèces étant précisément actives à l’aurore et au crépuscule. C’est à dire lorsque c’est allumé ».  De nouveaux arrêtés parus en 2020 encadrent plus strictement les lumières artificielles, qu’elles soient publiques ou privées, dans les surfaces ouvertes : les types d’éclairage, leur intensité, leurs horaires… Pourtant déplore Samuel Challéat, « là où la loi est la moins restrictive, c’est dans les villes. Or l’enjeu de la pollution lumineuse pour le vivant se situe justement aux franges urbaines… A l’inverse, la loi est très restrictive dans les parcs nationaux et les espaces protégés. »

Repenser l’éclairage autrement  

Aujourd’hui des corridors écologiques existent pour préserver l’obscurité dans des zones où les espèces nocturnes sont menacées. C’est ce que l’on appelle la trame noire. Mais cela n’est pas suffisant. Il faut, estime le géographe, définir comment on éclaire (quelle intensité, quel type de lumière - bleue ou blanche -, quelle quantité de points lumineux, à quels horaires, quelle orientation de la lumière) et pourquoi. Samuel Challéat milite pour une réflexion collective autour de la question du nocturne et de la lumière artificielle dans les territoires. « La trame noire doit être un outil d’action publique. Qui décide que l’on va placer une lumière à tel ou tel endroit ? L’habitant ? Le politique ? L’écologue ? L’astronome ? Ce n’est pas non plus au chercheur de dire ce qu’il faut faire. » Avec le Collectif RENOIR[1], le géographe plaide dans les communes pour une pratique de démocratie participative, baptisée droit à l’obscurité. « C'est le droit de mettre en débat la lumière dans sa commune. Mettons-nous autour de la table et écoutons chacun (commerçant, riverains, travailleurs de nuit, naturaliste, etc…). A partir du moment où on a connaissance des enjeux et des besoins au niveau d’une commune, on pourra mettre en place des solutions ». 

CHALLÉAT, Samuel. Sauvons la nuit. Comment l’obscurité disparaît, ce que sa disparition fait au vivant, et comment la reconquérir. Éditions Premier Parallèle, octobre 2019.

 



[1] Le collectif RENOIR (Ressources environnementales nocturnes & territoires) rassemble des géographes de tous horizons (Toulouse, Dijon, Paris) travaillant sur la « nocturnité » comme bien environnemental valorisé dans les projets de territoires.