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Etudier l’histoire autrement : Emmanuelle Perez-Tisserant (FRAMESPA) lauréate 2024 de l’IUF avec un projet original et pluridisciplinaire centré sur les vaqueros de Californie au XIXe siècle

Publié le 31 octobre 2024 Mis à jour le 15 novembre 2024

Lauréate junior au titre de la chaire fondamentale, elle va interroger l’histoire de ce territoire, bousculé entre dynamiques autochtones et influences coloniales, dans une ambiance Far West

California Dreamin’
Elève de l’Ecole normale supérieure, Emmanuelle Perez-Tisserant profite d’une année de mobilité à l'Université de Californie à Los Angeles, entre la maîtrise et le DEA pour découvrir l’histoire de la Californie. C’est un véritable coup de cœur pour cette passionnée d’histoire depuis l’enfance, qui décide d’y dédier son projet de thèse.

Devenue maîtresse de conférences en histoire contemporaine au laboratoire FRAMESPA en 2016, Emmanuelle Perez-Tisserant centre ensuite l’ensemble de ses recherches à la zone transfrontalière actuelle entre les Etats-Unis et le Mexique, au début du XIXe siècle.
Un territoire à l’histoire complexe
Ce territoire revêt un passé historique singulier et particulièrement intéressant puisque colonisé tardivement par les Espagnols, il a connu ensuite l’indépendance du Mexique en 1821 puis une double colonisation avec l’annexion par les Etats-Unis en 1848.

Entre changement de souveraineté, construction nationale et dimension coloniale, Emmanuelle Perez-Tisserant s’est d’abord intéressée à l’histoire politique de cette zone géographique, puis a ouvert peu à peu son champ de recherche en se questionnant sur l’histoire environnementale, sociale et spatiale de cette partie de l’Amérique du Nord.
A la poursuite des vaqueros
Son projet IUF intitulé « La terre des vaqueros : élevages coloniaux, marges de manœuvres autochtones et superpositions territoriales en Haute-Californie (années 1770-années 1850) » nous amène tout droit en Californie, 3 siècles plus tôt, à la rencontre des cowboys à l’espagnole, les « vaqueros ».

Regard résolument tourné vers l’intérieur des terres, Emmanuelle Perez-Tisserant souhaite étudier plus précisément les missions franciscaines, outil de colonisation et d’évangélisation. Ces missions avaient pour but de convertir les populations autochtones au catholicisme, tout en transformant leurs organisations et modes de vie par l’introduction de nouvelles pratiques agricoles et pastorales, comme l’élevage de bovins et d’ovins.

Ces nouvelles pratiques, aux effets environnementaux (modification du couvert forestier dû au piétinement) et sanitaires (apparition de la variole, alimentation carnée…) importants, introduisent également un nouveau rapport à la mobilité : les « vaqueros », conducteurs autochtones des troupeaux, nouvellement autorisés à montés à cheval, parcourent un territoire désormais très large pour s’occuper du bétail.

Plutôt que de considérer les missions d’évangélisation uniquement comme des centres de travail forcé, de concentration des populations autochtones, de génocide culturel, Emmanuelle Perez-Tisserant propose une approche renouvelée, en les abordant aussi comme des lieux où les populations indigènes ont su s’adapter, révolutionnés par l’introduction du bétail imposé par la colonisation. La présence coloniale a certes modifié les circulations et communications autochtones, mais ces dernières préexistaient et la chercheuse a à cœur de leur redonner toute leur visibilité.  
Une démarche interdisciplinaire pour faire vivre l’histoire
Mais pour cela, il faudra palier le fait que sur le sujet, la majorité des sources sont coloniales. Emmanuelle Perez-Tisserant a donc décidé de faire revêtir à son projet IUF une dimension interdisciplinaire en combinant histoire, archéologie et anthropologie. Il repose sur l’utilisation de sources diverses : archives coloniales, documents archéologiques, observations anthropologiques, témoignages recueillis auprès des descendants des populations autochtones…

Les sources archéologiques vont permettre de mieux comprendre les usages de l’espace, de reconstituer les circulations en interrogeant les traces laissées par des matériaux et objets notamment. Cette démarche a été utilisée dans un précédent projet, Interfaces (LabEx SMS) coordonné avec Benjamin Balloy (FRAMESPA) avec la participation de François Bon (TRACES).

Emmanuelle Perez-Tisserant entend aussi développer les coopérations avec l’Université de Santa Clara, située sur le site d’une ancienne mission franciscaine. Des fouilles archéologiques sont actuellement réalisées sur place, ce qui constitue une formidable ressource.

Le croisement de ces différentes sources permettra de reconstituer les circulations de personnes, d’objets et de pratiques perpétuées sur le territoire, au cœur des missions franciscaines.
De la collecte des sources à la diffusion large des résultats
La première phase du projet sera ainsi dédiée au repérage et à la collecte de sources. Discutées ensuite lors de workshops avec des archéologues et anthropologues américains.
Emmanuelle Perez-Tisserant souhaite également profiter de son mandat IUF pour programmer des séjours longs en Californie mais aussi à Santa Fe (Nouveau Mexique) et à Saint-Louis (Missouri) pour prendre la mesure de l’ampleur des déplacements, dans une visée exploratoire. Le temps sur place lui permettra aussi d’aller à la rencontre de représentants des collectifs autochtones comme les Chumashs.

En plus de la monographie sur le sujet, elle réfléchit également à d’autres manières d’écrire l’histoire et de la diffuser, comme la réalisation d’un documentaire. De quelque manière que cela soit, elle compte bien profiter de cette chance qu’est l’IUF dans une carrière pour consolider la passerelle entre science et société qu’elle met en place dans ses recherches depuis de nombreuses années, pour qu’elles servent à l’université, aux étudiants et plus largement encore.
L’IUF : un cadre propice à la recherche fondamentale
Grâce à sa nomination à l’IUF, Emmanuelle Perez-Tisserant bénéficie de temps et de moyens pour mener à bien ses recherches. Elle apprécie la liberté que lui offre l’IUF, permettant ainsi d’explorer des pistes nouvelles et de prendre des risques méthodologiques, tout en approfondissant ses hypothèses sur le terrain. Elle espère ainsi faire émerger une vision renouvelée de l’histoire des missions franciscaines et de la Californie, en soulignant la résilience et l’adaptation des populations autochtones face aux transformations coloniales.

En redonnant une place centrale aux acteurs indigènes dans l’histoire de la colonisation, le projet d’Emmanuelle Perez-Tisserant nous permettra de renouveler notre compréhension des interactions coloniales en Amérique du Nord, en mettant en lumière des dynamiques culturelles et sociales encore peu explorées.



Photos de la cérémonie d'installation des lauréats IUF 2024, le 18 octobre 2024 au Grand Amphithéâtre de la Sorbonne. Emmanuelle Perez-Tisserant entourée d'Elyès Jouini, administrateur de l'IUF et de Claudia Serban, autre lauréate UT2J de l'IUF 2024 du laboratoire ERRAPHIS.

Bénéficier d'un tel privilège n'empêche pas de garder ses valeurs, et même cela oblige. Un tiers de la promotion IUF 2024 a ainsi rédigé et signé une déclaration pour demander notamment de meilleures conditions pour l'enseignement et la recherche, et s'inquiéter d'une mise au pas d'une recherche scientifique qui devrait être véritablement autonome.