Les transformations des pratiques professionnelles des enseignants-chercheurs à l'ère du numérique et de l'IA : une approche sociocognitive.

Cette habilitation à diriger des recherches, ancrée dans les sciences de l'éducation et de la formation, examine les restructurations importantes du métier d'enseignant-chercheur à l'ère du numérique et plus particulièrement depuis l'avènement des intelligences artificielles génératives en 2022. Ce tournant épistémologique et sociétal porte à recontextualiser et requestionner l'enseignement supérieur, des modalités de production scientifique aux dispositifs d'évaluation.

Mon approche se distingue par l'articulation entre un parcours scientifique singulier allant des sciences biologiques aux sciences de l'éducation, et une posture épistémologique combinant post-positivisme, socioconstructivisme. interdisciplinarité et inter-culturalité. Cette note d'HDR développe deux contributions : une synthèse critique de mes travaux antérieurs d'une pmi, une investigation inédite qui mobilise et enrichit la théorie sociocognitive d'autre part pour conceptualiser les processus de changement. d'accompagnement et de résistance face aux technologies numériques. Pour ce faire, je développe un « modèle hi adique augmenté » qui étend le cadre théorique de Bandura en ajoutant le savoir explicite comme quatrième facteur aux dimensions personnelles, comportementales et environnementales traditionnelles. Cette extension théorique éclaire comment l'IA réinterroge simultanément l'agentivité distribuée entre humains et machines, les pratiques professionnelles des enseignants-chercheurs, les modes d'apprentissage des étudiants, et la nature même de la production et validation des savoirs académiques.

L'auto-efficacité y est identifiée comme médiateur central de l'engagement et de la persévérance face à ces bouleversements numériques. 

Ma démarche repose sur une triangulation systématique (méthodes quantitatives, qualitatives et analyse des traces numériques) qui rend possible l'examen à plusieurs niveaux des savoirs professionnels : énoncés, perçus et constatés. Les travaux soulignent les enjeux critiques tels que la mutation des pratiques de recherche, les pratiques enseignantes avec entre autres l'évaluation des apprentissages face aux productions algorithmiques, la tension entre rationalité algorithmique et jugement pédagogique, ainsi que les dimensions éthiques et le manque d'explicabilité des systèmes d'lA. L'analyse longitudinale des pratiques distingue trois phases d'évolution : pré-pandémique (hétérogénéité des pratiques avec le numérique médiée par le niveau auto-efficacité individuelle), pandémique adaptation forcée) et post-IA générative (transformation systémique des pratiques professionnelles). Les transformations des pratiques professionnelles s'organisent selon quatre dimensions interconnectées : personnelle (singularité individuelle où expériences, émotions et représentations façonnent l'intégration des technologies et l'engagement dans les pratiques), interpersonnelle (renouvellement des interactions avec collègues, hiérarchie et étudiants, où les asymétries technologiques influencent l'appropriation selon le soutien social), impersonnelle (adaptation des tâches standardisées et procédures génériques aux spécificités disciplinaires, modifiant les routines pédagogiques.) et transpersonnelle (préservation de l'héritage professionnel collectif malgré les changements technologiques). 

Ce travail débouche sur quatre apports : la construction et validation d'échelles inédites de mesure de l'auto ­efficacité à enseigner et évaluer avec l'IA dans l'enseignement supérieur : une taxonomie spécifique des pratiques enseignantes intégrant sept niveaux progressifs d'usage de l'IA ; le développement du « modèle triadique augmenté» ; une redéfinition des pratiques enseignantes des enseignants-chercheurs à l'ère de l'IA, intégrant agentivité distribuée, médiation sociotechnique et co-construction des savoirs. 

Mes perspectives de recherche investiguent trois axes prometteurs : le développement d'un modèle d'« Agentivité en Cognition Distribuée » intégrant les dimensions temporelle et émotionnel le prenant en compte les situations d'interaction impliquant des formes robotiques d'lA incarnée, l'analyse de la littératie de l'IA et son impact sur l'écriture académique, et la conception de systèmes d'lA favorisant l'orientation scolaire et l'autonomie des élèves. 

En replaçant l'enseignant-chercheur au cœur de ces transformations, cette note d'HDR démontre que l'intégration de l'IA clans l'enseignement supérieur ne saurait se réduire à une adaptation technique: elle exige une redéfinition épistémologique, méthodologique et éthique du métier. Adoptant une approche interdisciplinaire au sein des sciences de l'éducation et de la formation, ce travail contribue significativement au développement de la recherche sur les pratiques professionnelles dans les environnements intégrant du numérique dont les systèmes d'IA, tout en soulignant l'importance de l'agentivité humaine et de la réflexivité critique dans l'accompagnement de ces changements à l'œuvre.