Prix de thèse de la MSHS-T : 2 docteures de l’UT2J ex aequo cette année !

Publié le 25 janvier 2024 Mis à jour le 30 janvier 2024

Si leurs travaux de thèse sont bien différents, le caractère interdisciplinaire est présent aussi bien dans le travail de Mathilde Tahar (ERRAPHIS) que dans celui d’Estelle Guerry (LAPLACE - LARA-SEPPIA)

La MSHS-T décerne chaque année un prix de thèse visant à distinguer des travaux de recherche interdisciplinaires remarquables ayant au moins une discipline du domaine des sciences humaines et sociales au cœur du travail.

Cette année, le prix a été décerné à 2 candidates, arrivées ex æquo. Le jury a souligné l’excellence de leurs travaux, leur caractère éminemment pluri et interdisciplinaire ainsi que leurs qualités méthodologiques et réflexives qu’elles ont su mettre à l’œuvre.

Les lauréates sont
- Mathilde Tahar pour sa thèse intitulée « L’évolution par-delà tout finalisme : Bergson critique des évolutionnistes », réalisée au laboratoire ERRAPHIS et soutenue en septembre 2022.
- Estelle Guerry pour un travail de thèse mené dans les laboratoires LAPLACE et LARA-SEPPIA. Intitulé « La couleur dans l’environnement visuel : perception(s), lecture(s), interprétation(s) et impact(s) sur l’usager âgé. De l’approche de l’ingénieur lumière (science et technologies des systèmes d’éclairage) et du designer-coloriste (arts-appliqués, design) », il a été soutenu en février 2022.
Quelques questions pour mieux comprendre leurs travaux

- Quels sont les objectifs de votre travail de thèse soutenu en septembre 2022 ?
Mathilde Tahar : Le point de départ de ma recherche, c’était la critique que Bergson formule, au début du XXe siècle, à l’encontre des théories de l’évolution, qu’il juge prisonnières d’un finalisme implicite et donc d’une forme d’anthropomorphisme. Selon Bergson, une telle approche empêche les scientifiques de comprendre la créativité à l’œuvre dans l’évolution, créativité qui s’explique lorsqu’est prise en compte l’efficacité de la durée, l’importance de l’histoire dans les phénomènes évolutifs.
Alors que la philosophie de Bergson a vite été considérée comme désuète par les scientifiques, cette critique du finalisme m’a semblé au contraire tout à fait actuelle, puisque la métaphore téléologique demeure aujourd’hui encore omniprésente en biologie de l’évolution (« l’œil est fait pour voir », « la sélection naturelle tend à produire l’organisme le plus adapté »,…). Donc, dès le départ, mes objectifs de recherche touchaient à la fois la biologie et la philosophie de Bergson. Je voulais élucider les raisons du recours à la téléologie dans la biologie de l’évolution. Et je voulais aussi évaluer la pertinence contemporaine de la philosophie bergsonienne, dans ce contexte, c’est-à-dire pour penser ce problème théorique propre à la théorie de l’évolution. Et, en cours de recherche, s’est ajouté un objectif plus ambitieux, puisque j’ai voulu proposer une conception de l’évolution qui permettrait à la biologie d’échapper au finalisme anthropomorphique tout en prenant en compte l’efficace de la durée historique.
- Quelle en est l'originalité ?
Mathilde Tahar : L’originalité, et aussi les difficultés de ces recherches reposaient sur leur interdisciplinarité : il s’agissait de faire véritablement collaborer philosophie et biologie, et même plus précisément l’histoire de la philosophie, l’histoire des sciences, la philosophie continentale et la philosophie analytique, la biologie de l’évolution, et aussi l’éthologie.
Et ce qui a rendu les choses plus complexes, mais aussi plus stimulantes, c’est le fait que, au moment où j’ai commencé ma thèse, je m’inscrivais à rebours à la fois des interprétations traditionnelles de la philosophie bergsonienne et du cadre épistémologique dominant de la théorie de l’évolution. Concernant Bergson, alors qu’il est généralement vu comme un vitaliste qui n’aurait rien à apporter à la science, j’ai pris au sérieux ses propositions théoriques pour penser des problèmes de la biologie contemporaine. Et concernant la théorie de l’évolution, j’ai critiqué la téléologie, qui est utilisée aussi bien par le cadre réductionniste dominant, que par certaines de ses critiques, notamment les approches organisationnelles, ou celles centrées sur l’agentivité biologique.  
La chance que j’ai eue néanmoins, c’est que pendant mon doctorat, les choses ont un peu changé. Il y a eu un regain d’intérêt pour la philosophie de la biologie de Bergson qui s’inscrit d’ailleurs dans un renouveau plus large des études bergsoniennes. Et en outre, du côté de la biologie de l’évolution, les découvertes contemporaines ont suscité des débats tels que les collaborations entre biologistes et philosophes ont été facilitées, et que j’ai aisément trouvé des interlocuteurs biologistes, sans lesquels je n’aurais probablement pas pu conduire ces recherches.
- Que représente ce prix pour vous ?
Mathilde Tahar : On m’a beaucoup dit quand j’ai commencé mes recherches que l’interdisciplinarité n’avait pas encore vraiment sa place dans le monde académique. On m’avait aussi annoncé que ce ne serait pas forcément stratégique d’utiliser la philosophie de Bergson pour penser la biologie contemporaine, que j’aurais du mal à trouver des interlocuteurs. Ça n’a pas été le cas : j’ai vraiment pu bénéficier de collaborations très stimulantes, et je crois que mes recherches ont trouvé un public : ma thèse va être publiée aux Presses Universitaires de France en septembre.  
Et ce prix vient consacrer le fait qu’il y a de la place pour une telle interdisciplinarité et pour des sujets de recherches qui peuvent sembler initialement audacieux.
Je suis donc très honorée de recevoir ce prix prestigieux : c’est une reconnaissance particulièrement importante quand on conduit des recherches un peu hors des sentiers battus. Et, étant donné la difficulté que l’on connaît pour les jeunes chercheurs de se faire une place dans le monde académique, j’espère qu’être lauréate de ce prix me donnera la légitimité pour poursuivre mes recherches interdisciplinaires.

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- Quels sont les objectifs de votre travail de thèse soutenu en février 2022 ?
Estelle Guerry : L'objectif de ma thèse, qui est devenu le projet de recherche qui m’occupe à plein temps, est le développement de stratégies non-médicamenteuses par la conception d’environnements (institutionnels, hospitaliers, domiciliaires) par le prisme du design-couleur et de la science de l'éclairage. L'enjeu est d’accompagner les usagers dits « vulnérables », en l’occurrence les personnes âgées atteintes de troubles de la vision, vers un mieux-être.
Je travaille également au transfert de ces stratégies vers la sphère professionnelle, visant l’amélioration du bien-être au travail et je m’adresse plus globalement à tous organismes, institutions, etc., souhaitant le bien-être/ mieux-vivre de leurs usagers.
- Un mot sur le caractère interdisciplinaire ?
Estelle Guerry : L’originalité de ce travail réside justement dans son interdisciplinarité. C’est inédit de concilier design-couleur et science de l’éclairage dans un but de conception unifiée. La couleur et l’éclairage ne sont plus pensé séparément mais comme un tout à forte valeur ajoutée.
Un langage commun est né, de nouvelles modalités de représentation et méthodologies de travail ont émergé, sans parler des protocoles d’études alliant pleinement la dimension humaine des SHS et la normalisation des SPI. Nous avons bousculé les codes pour apporter des solutions réellement appropriées et pleinement adaptées aux préoccupations sociétales d’aujourd’hui.
- Quelles perspectives vous ouvre-il ?
Estelle Guerry : Le prix de thèse de la MSHS c’est avant tout une reconnaissance de mon travail de recherche ; c’est une validation supplémentaire des pairs qui conforte mon envie de faire carrière dans la recherche universitaire.
Grâce à ce prix, mon CV gagne aussi une nouvelle ligne conséquente, qui je l’espère, me permettra de pérenniser mon travail.